Sébastian BARRY est un auteur qui ne se contente pas des idées établies. Il entre dans la vie de ses personnages, réels ou imaginaires, sans préjugé en cherchant simplement à les replacer dans le contexte, à comprendre leur destin. Chez lui les univers du héros et de l'antihéros se superposent, l'humain est mis à nu sans complaisance, qualités et défauts, passés glorieux et honteux sont vécus par le lecteur comme quelque chose de normal. Il s'agit tout simplement de convictions, de choix qui peuvent faire basculer le personnage du"bon" ou du "mauvais" côté et susciter la liesse ou la vindicte populaire.
Son célèbre roman "The Whereabouts of Eneas McNulty" en français " les tribulations d'Eneas McNulty", raconte l'histoire d'un jeune homme né en 1900 à Sligo. Il est l'aîné d'une fratrie de 4 enfants et rêve d'aventures; la première sera, on s'en doute, son engagement dans le premier conflit mondial, aux côtés de l'armée Britannique. Ce choix, comme celui de beaucoup de ses compagnons, n'est pas du goût des républicains qui luttent clandestinement contre la royale Couronne. A la fin de la guerre, de retour au pays, il s'engage dans la police de Dublin qui défend "loyalement" les intérêts du Roi. C'est encore un choix qui sera qualifié de trahison par ses amis d'enfance. Eneas McNulty quittera l'Irlande et entamera une fuite en avant, plus ou moins aventureuse, à travers le monde.
Sébastian BARRY explore, et s'inspire de cette période de l'histoire irlandaise, des années 1920, dans sa pièce de théâtre " Le régisseur de la Chrétienté" . où on trouve un ancien commissaire de police, Thomas Dunne, lui aussi "loyaliste" et catholique, enfermé dans un hospice de vieillards et en proie aux affres du passé. Son fils Willie est mort en combattant avec les Britanniques en 14-18, sa fille Dolly est partie aux USA, il reste sa fille Maud, qui vit de dépression en dépression, et sa fille Annie, bossue, qui lui rend visite dans cette chambre vétuste de l'hospice de Baltinglas. Le quotidien, quant à lui, se limite aux entrées et sorties de l'aide soignant brutal , Monsieur Smith, et de la gouvernante Madame O'Dea.
La vie de la famille Dunne a beaucoup inspiré Sébastian BARRY; ce serait l'histoire de sa propre famille. On retrouve le héros malheureux de la première guerre mondiale, Willie Dunne , dans son roman "Un long long Chemin". Le tragique destin de Willie Dunne, "mort pour sauver l'Europe", comme le précise l'auteur dans "Le régisseur de la Chrétienté", est ici relaté avec des détails étonnants. 1914, le front des Flandres, les tranchées, l'eau , la boue, le froid et la mitraille avec en prime la mort omniprésente... Je ne sais pas si Sébastian Barry a écrit ce roman à partir de la correspondance de Willie Dunne, mais je trouve beaucoup de passages semblables à ceux racontés par notre héros local Joseph Le Bars (travail actuel des associations d'Esquibien "Culture et Patrimoine" et "Théâtre Ephémère" pour la commémoration du 11 novembre; voir article en actualité sur ce site). Nos deux héros sont nés en 1896; ils sont au même moment, sur le même front, dans les mêmes conditions de vie. Il serait sous doute intéressant de rapprocher les deux correspondances. J'ai interprété le rôle de Thomas Dunne dans "Le régisseur de la Chrétienté" et je peux dire que lors du passage de la lecture de la lettre de Willie, j'ai l'impression de lire une lettre de Joseph. J'ai changé de pièce, mais je retrouve le même personnage. L'un écrivait à son père, l'autre écrivait à sa mère; d'ailleurs je me suis servi de la lettre, lue sur le plateau du "Régisseur de la Chrétienté", pour le tournage des images sur la vie de Joseph le Bars. La lettre que lit la mère de joseph est celle que lisait le père de Willie.